Kim Paradis Comité de solidarité internationale de la Coordination du Québec de la Marche mondiale des Femmes (CQMMF)
Nous sommes entrées, depuis quelques mois, dans une crise planétaire et globale qui a bousculé radicalement non seulement nos habitudes de vie, mais également le système économique mondial. Nous sommes toutes forcées de vivre chacune dans nos frontières nationales et personnelles, cette crise sanitaire. Isolées et confinées, nous survivons, à notre façon. Certaines continuent de travailler de la maison, la solitude comme compagne ou la tête remplie d’une lourde charge mentale ; d’autres ont perdu leur travail, avec ou sans revenu d’appoint. Quelques-unes cultivent un jardin intérieur et d’autres souffrent de la présence d’un conjoint violent. Plusieurs travaillent au front, à prendre soin des malades, des enfants, des personnes âgées, en affrontant la peur et le risque. Nous voyons émerger les inégalités flagrantes de nos sociétés, particulièrement celles vécues par les femmes. Et nous constatons également que les femmes ne sont pas toutes égales entre elles. On dit du mouvement féministe qu’il est pluriel ; mais de nos diverses réalités se dessinent toutefois une ligne commune, une vérité collective partagée : les femmes demeurent les personnes les plus touchées par cette crise. Les impacts sur ces dernières sont énormes et mettent en relief des maux communs de notre époque productiviste : la division sexuelle du travail, la sous-valorisation du travail féminin, la non-reconnaissance du travail informel réalisé majoritairement par les femmes, les responsabilités familiales qu’elles portent à bouts de bras, etc. Nous sommes différentes, vivant chacune la crise selon notre réalité, mais nous partageons toutes ces oppressions patriarcales du monde économique capitaliste. Et si cette période de chamboulements devenait un terreau fertile pour la dénonciation et la prise de conscience collective ? Le mouvement écoféministeest un courant philosophique et politique né de la conjonction des pensées féministes et écologistes, qui dénoncent le capitalisme et du patriarcat. Car si l’environnement se dégrade, la condition féminine se dégrade aussi. Ainsi, si le système capitaliste participe à la destruction de la nature et à l’épuisement de ses ressources, il participe aussi aux inégalités et aux oppressions vécues par les femmes. Et si, dans nos réflexions sur « l’après pandémie », nous disions « c’est assez »à l’économie actuelle? Et si nous mettions au cœur de nos actions la protection de la nature et la revalorisation du travail féminin (formel et informel)? Et si nous reconnaissions tout l’apport qu’offrent les femmes quotidiennement, et souvent gratuitement, au développement de l’économie? Et si nous osions des alternatives empreintes de justice et solidaritéenvers les plus vulnérables? Et si ce mouvement n’était pas seulement qu’une opposition, mais bien un mouvement qui construit? Et si notre force collective, c’était justement ça? La réappropriation de l’économie par la création d’un mouvement qui ne se préoccupe pas seulement du travail lié à la production, mais qui s’intéresse à tout ce qui nous entoure, qui prend en compte tous les aspects de la vie[1]. Et si nous étions déjà en marche? Les femmes du Québec s’organisent, malgré toutes les difficultés qu’apporte la pandémie. Nos cinq revendications de la Marche mondiale des Femmes touchent directement des thèmes dont le relief est encore plus visible durant cette crise planétaire: la pauvreté, la violence, la justice climatique, les femmes migrantes, immigrantes et racisées et les femmes autochtones. Et ce n’est pas la distance qui nous empêchera de résister et d’œuvrer solidairement avec le mouvement mondial des femmes. Notre participation active à la Marche mondiale des Femmes en est un excellent exemple ! Et si, en cette période de crise, nous étions féministement solidairesavec nos réalités plurielles, et que nous allions plus loin que le rêve ou la théorie, et que nous osions des solutions alternatives au monde économique actuel?...
[1]Silvia Federici, « Le féminisme d’État est au service du développement capitaliste », avril 2020